Critiques presse Matière(s) première(s)

Ballet de danses africaines urbaines
Création 2023 – Durée : 55 min – Tout public


Corps à corps politique

« […] la chorégraphe Anne Nguyen présente Matière(s) première(s), qui donne un coup de projecteur politique sur les danses africaines urbaines. Sur un plateau nu, lumière en douche, la première danseuse apparaît. Un morceau de jazz, des mouvements puissants et rapides, une présence hypnotique. L’introduction de Matière(s) première(s) donne le ton de la pièce : pas de fioriture, droit au but. […] le public s’immerge dans l’univers des danses africaines urbaines. Leurs différents vocabulaires forment un précieux matériau dont la chorégraphe Anne Nguyen a su montrer l’essence, tout en mettant l’accent sur le contexte politique de leur développement : guerre, travail minier, violence… À travers le ndombolo, l’afrohouse, la pantsula et bien d’autres, les interprètes racontent le quotidien de la jeunesse qui trouve un exutoire dans le mouvement. Après Underdogs et Héraclès sur la tête, Matière(s) première(s) est la dernière pièce d’une trilogie consacrée aux origines des danses urbaines, où Anne Nguyen montre la montée en puissance actuelle de leur volet africain face au hip-hop venu du continent américain.

Casting. Entre précision, fougue et engagement sans limite, le casting de danseurs et danseuses est époustouflant. À six – trois femmes, trois hommes –, ils investissent l’espace épuré, déploient des enchaînements de mouvements en groupe ou en solo, utilisant leur corps et la musique comme pulsation. Alors que l’on est cloué sur son siège de spectateur, on n’a qu’une envie, c’est faire cercle autour d’eux pour ressentir au plus près la danse et soutenir leur engagement physique. »

La Gazette de Montpellier – Cécile Guyez – Janvier 2024



Matière(s) première(s), bal urbain africain

« Dans Matière(s) première(s), la chorégraphe issue du break Anne Nguyen déploie un ballet des danses urbaines africaines avec grâce, qui questionne le regard colonial tout en tentant de s’en émanciper.

Pendant presque une heure, sans jamais s’arrêter, six interprètes esquissent avec souplesse des gestes gracieux, font onduler leurs torses, se déplacent en jeux de jambes véloces.
Ils se croisent et forment des tracés géométriques dans l’espace, des cercles, des diagonales, des lignes droites. […] Dans Matière(s) première(s), […] se déplie la grâce véhémente des danses urbaines africaines, comme sa dimension politique.

Ted Barro Boumba alias « Barro Dancer », Dominique Elenga alias « Mademoiselle Do’ », Mark-Wilfried Kouadio alias « Willy Kazzama », Grâce Tala, Nahoua Traore alias « BLACK WOMAN », Seïbany Salif Traore alias « Salifus », deviennent les ambassadeurs de ces danses urbaines africaines comme le gqom dansé sur des rythmes électro (comme la musique répétitive qui jalonne le spectacle), le coupé-décalé et ses acrobaties bluffantes ou le ndombolo et ses pas chaloupés, imposées par l’ondulation du bassin.

Au fil des tableaux, toujours liées avec fluidité, certains gestes évoquent la violence (pistolet avec les mains, corps à terre, mime de recharger une arme), de contestation (ligne en face du public qui fait front), comme de solidarité (cercle où ils se font face, disposition façon battle où une interprète danse et les autres, autour, l’encouragent). Ce déploiement des danses urbaines africaines, peu présentes sur les scènes de théâtre en France – même si accessible sur Internet, sur les réseaux sociaux et dispensées dans des cours et ateliers – questionne sur la manière dont elles sont mises en scène en France. Si depuis le XIXe siècles, les danses dites exotiques s’exposent dans les cabarets et les théâtres, elles sont souvent porteuses des imaginaires coloniaux : la fascination pour l’ailleurs, l’objectivation des corps, dans un fantasme érotique ou de surpuissance pour ce qui concernes les artistes noirs. Comment les rencontrer en contournant cette dynamique coloniale ? Par le seul fait de mettre en scène ces danses africaines Matière(s) première(s) interroge ce prisme. Il semble échapper aux clichés par sa dramaturgie fluide, son refus de scénariser la virtuosité et l’expression des luttes politiques. Tout du moins, de notre point de vue européen. »

www.sceneweb.fr – Belinda Mathieu – 27 Janvier 2024
Lire l’article



DANSE : L’essence rebelle du hip-hop.

Interview d’Anne Nguyen dans le journal international TV5 Monde du 22 janvier 2024. Focus sur les spectacles Matière(s) première(s) et Underdogs, avec des images des spectacles. Retour sur le parcours de la chorégraphe, les racines des danses sociales urbaines et sa vision du hip-hop actuel, entre gentrification et quantification du break en vue des Jeux Olympiques 2024. Une émission présentée par Patrice Férus.


JT de TV5 Monde – Patrice Férus – 22 janvier 2024



« Matière(s) première(s) » d’Anne Nguyen : Une plongée dans les « danses afro »

« Nouvelle artiste associée à La Manufacture CDCN de Bordeaux-La Rochelle, Anne Nguyen détaille sa dernière création.

Danser Canal Historique : Vous êtes artiste associée à La Manufacture CDCN à partir de la saison 2023/24. Votre première « apparition » aura lieu avec Matière(s) première(s). De quelles matières s’agit-il ?
Anne Nguyen :
Cette pièce pour six danseuses et danseurs africains, urbains et traditionnels a été créée à la dernière édition de la Biennale de danse du Val-de-Marne. On y travaille sur les danses qui viennent des grandes métropoles africaines et qui sont toutes très différentes, dans leurs fusions et créolisations entre les différentes ethnies qui se croisent dans ces grandes villes. Et elles évoluent avec les musiques et les avancées technologiques.

DCH : Comment peut-on décrire ces danses qui témoignent donc d’une grande vitalité créatrice ?
Anne Nguyen :
[…] L’idée est d’aller chercher dans les origines de ces danses comme j’ai pu le faire avec les danses urbaines afro-américaines, donc le hip hop, en mettant en scène des identités très différentes, pour mettre en avant des pionniers des mouvements de la danse en Afrique et de montrer les choses sans trop les dénaturer.

DCH : Comment avez-vous rencontré ces pratiques ?
Anne Nguyen :
Ces danses urbaines africaines sont émergentes en France, en dehors de la diaspora africaine, depuis une dizaine d’années voire plus. Ces mouvements sont de plus en plus suivis par les jeunes sur les réseaux sociaux, elles se dansent même dans les cours de récréation. Globalement les jeunes appellent ces danses africaines urbaines « danses afro », de la même façon qu’ils appellent les danses urbaines afro-américaines « danses hip-hop ».

DCH : Pourquoi travaillez-vous aujourd’hui sur ces formes en particulier ?
Anne Nguyen :
Les danses hip-hop sont aujourd’hui institutionnalisées et se dansent plus en centre-ville donc par des classes non défavorisées, alors que dans les banlieues les jeunes sont plus intéressés par les danses afro et c’est pourquoi je les mets en scène dans Matière(s) première(s).

DCH : Vous étiez vous-même une B-Girl de renom avant de commencer votre carrière de chorégraphe. Quel regard portez-vous donc sur le hip-hop actuel ?
Anne Nguyen :
Les institutions qui aujourd’hui reconnaissent cette gestuelle sont présentes auprès des chorégraphes mais ont oublié ce rôle initial du hip-hop qui permettait aux jeunes de se fédérer. Au résultat le hip- hop n’a plus cette fonction de régulateur des énergies violentes. Aujourd’hui les tensions sociales remontent et on les fait peut-être monter artificiellement, alors qu’il serait important de mener une réflexion véritable sur les manières possibles d’accompagner ces jeunes. Ayant toujours cette réflexion en tête, j’ai choisi de travailler sur des danses que les jeunes des banlieues ont envie de voir. »


Dansercanalhistorique.fr – Thomas Hahn – 28 novembre 2023
Lire l’article



Matière(s) première(s) revient aux racines de la danse à travers l’exploration des musiques urbaines africaines.

« Comment vous vient l’idée d’un spectacle ?
Anne Nguyen – Ces dernières années, on a beaucoup évoqué les thématiques du racisme et de la représentativité des minorités. Pourtant le monde d’aujourd’hui tend vers une uniformisation culturelle, où l’identité est basée sur le narcissisme et l’adhésion au “progrès” plutôt que sur l’apport culturel de chacun. L’exploration des “racines” ancestrales de la danse a toujours sous-tendu mon travail. Je pense qu’en abandonnant les fonctions primordiales de la danse et de la musique, l’être moderne a perdu beaucoup. En voyageant à Kinshasa [RDC] et au Bénin pour donner des stages de break, j’ai pu constater que la danse était partout en Afrique, alors que les traditions de danse et de musique françaises ont disparu au cours des dernières générations, remplacées par l’hégémonie culturelle américaine, comme le reflète le hip-hop. Lors de mes discussions avec les scolaires à l’issue de mes spectacles, j’entends certains jeunes dire qu’ils ont honte que leurs parents, issus de l’immigration, dansent. Avec ce spectacle, je souhaite transformer cette honte en fierté.

Matière(s) première(s) se veut un voyage dans l’univers des musiques urbaines africaines. Et donc des corps qui les traversent ?
La musique transmet la mémoire de la danse, et la danse transmet la mémoire de la musique. Les danses urbaines africaines portent aujourd’hui ce que portaient les danses hip-hop lors de leur émergence : enracinées dans les danses et les musiques traditionnelles africaines, inspirées des danses des jeunes “de la rue”, elles ont une réelle existence sociale et rassemblent toutes les générations. Avec les clips et les réseaux sociaux, elles ont largement dépassé les frontières des pays africains et sont dansées par la plupart des jeunes des quartiers populaires, tandis que le hip-hop s’est gentrifié. Je retrouve en elles ce qui m’a attirée vers le hip-hop dans les années 1990. Avec Matière(s) première(s), je souhaite faire le lien entre ces danses et la réalité sociale de la jeunesse africaine qui subit le poids de systèmes de domination économique et culturelle que l’on questionne peu.

Que recherchez-vous chez un danseur, une danseuse ?
Lorsqu’un danseur s’exprime, c’est l’individu que je vois. Qu’ils soient hip-hop ou afro, les danseurs urbains ont une capacité à allier l’ancestral et le moderne qui les rend fascinants. Lorsque je regarde la danse, je me projette dans chaque geste pour inventer des manières de sublimer le sens, ou les sens possibles qu’il exprime, afin que le spectateur puisse lire dans la danse comme s’il recevait un langage. Je n’apprends pas aux danseurs à danser, mais je les plonge dans des suites de situations qui construisent une narration dansée. […] »


Les Inrockuptibles – Phillipe Noisette – Mars 2023



Interview d’Anne Nguyen dans l’émission « L’invité 20 Minutes TV » du 20 janvier 2024 pour parler de son parcours, de son processus créatif, des origines des danses sociales urbaines, du rôle social de la danse, des différentes formes que la danse prend sur scène et au service de l’économie de marché à l’aune de l’entrée du break aux Jeux Olympiques de 2024. Avec des images d’Underdogs et de Matière(s) première(s). Une émission présentée par Renaud Parquet.


L’invité 20 minutes TV – 20 minutes TV – Renaud Parquet – 20 janvier 2024



Danses urbaines à Sète

« […] LA GAZETTE : quel est le point de départ de la pièce ? Anne Nguyen. La pièce fait partie d’un cycle de trois œuvres sur l’origine des danses urbaines. Il se clôt avec Matière(s) première(s) où on interroge les danses pratiquées aujourd’hui par la jeunesse des quartiers populaires, à savoir les danses africaines urbaines et traditionnelles. Pour mettre en avant, non pas leur côté jubilatoire, mais le contexte de leur création : univers des mines, économies de guerre…

Comment avez-vous composé la chorégraphie ? Nous sommes partis d’improvisations qui ont servi de matériel à la mise en scène. Chaque interprète a transmis son propre vocabulaire, tout en étant au service du collectif. On a ainsi travaillé le coupé/décalé ivoirien, l’afro-jazzé gabonais, l’afro-house angolais, le ndombolo congolais ou le traditionnel antillais. […] »



La Gazette de Montpellier – Cécile Guyez – Janvier 2024



Danses afro, jambes urbaines

« Exubérantes et à la mode, les danses de rue venues du Gabon ou de Côte-d’Ivoire commencent à se faire une place sur les scènes françaises, où leurs ambassadeurs peuvent plus facilement vivre de leurs talents que dans leurs pays d’origine. Elles sont à l’honneur de la création d’Anne Nguyen Matière(s) première(s).

Exubérantes et à la mode, les danses de rue venues du Gabon ou de Côte-d’Ivoire commencent à se faire une place sur les scènes françaises, où leurs ambassadeurs peuvent plus facilement vivre de leurs talents que dans leurs pays d’origine. Elles sont à l’honneur de deux créations signées par la chorégraphe Anne Nguyen et le danseur de coupé-décalé Ordinateur.

« Le Hip-hop s’est gentrifié »

Pour construire le casting entièrement afro urbain Matière(s) première(s) – spectacle qu’elle présente dans le cadre de la Biennale de danse du Val-de-Marne – Anne Nguyen et son assisant Pascal Luce, ont « incroyablement galéré ». Normal, « ces danseurs ne savent pas vraiment ce qu’est un spectacle, une tournée, ni le milieu de la scène institutionnelle… Ils sont jeunes, parfois en France depuis peu, dansent sur TikTok et Insta, dans des soirées, donnent des cours sur les réseaux sociaux, et travaillent souvent en même temps chez Carrefour ou à la Poste ». Impossible de passer un simple avis d’audition sur Instagram. Il a fallu un gros travail de terrain est l’aide des anciens élèves congolais pour faire circuler l’info. Première audition : que des filles, beaucoup de danseuses traditionnelles. Puis, « des gens hyper talentueux mais qui n’avaient pas de papiers ou étaient en attente de renouvellement. Ça nous a enlevé au moins quatre, cinq options de danseurs parmi les meilleurs ». Barro fait à nouveau partie de l’aventure ; « Les danseurs des deux pièces, celle d’Anne et celle d’Ordinateur, se connaissent presque tous, c’est une petite communauté. » Anne Nguyen a souvent croisé ces danses de rues en multipliant, dès 2003, les allers-retours au Congo où est installé le chorégraphe Faustin Linyekula, puis au Benin où elle mène des actions solidaires en faveur de l’autonomie locale. Il y eut ensuite un déclic précis : en 2020, elle créait une pièce pédagogique destinée à tourner dans les salles de classe, qui mettait en scène un danseur de break fictif, Bboy Goku, accusé d’avoir volé un pas protégé par le code de la propriété intellectuelle. La classe devait instruire son procès. « En discutant avec les jeunes élèves, j’ai compris qu’ils ne s’intéressaient plus du tout au hip-hop. Un pote africain m’a dit : « Tu destines ce spectacle aux collèges et aux lycée… Pourquoi tu l’as pas fait avec de la danse afro ? Le break, pour eux, c’est un truc de papy ! » Depuis quand ? « Depuis que le hip-hop s’est gentrifié » ; répondent Anne Nguyen et Pascal Luce. L’an est passé, le ministère de la Culture publiait un rapport sur l’état des lieux des formations de danse hip-hop en France : « Le prix moyen annuel, c’est 3000 euros. En France, contrairement à l’Afrique, on est obligé de créer des danseurs. Dans les cours de récréation, aujourd’hui, tu vois des petits de 6e, 5e, danser incroyablement bien, mais ce sont les danses de leur famille, mixées aux danses des réseaux sociaux. Ils ne vont pas prendre de cours pour les apprendre. Tu leur proposes de faire du break, ils s’en fichent complètement ! » Malheureusement, les chorégraphes de hip-hop, comme de contemporain, le leur rendent bien. Très peu s’intéressent à ce vivier, « et ça prouve qu’il y a un problème », reprennent les deux artistes. Le milieu des battles, décrit comme « assez élitiste » par Anne Nguyen, ne serait pas non plus, comprend-on à demi-mot, des plus accueillants envers ces jeunes danseurs afro. « Ils sont sans doute un peu peur… Parce qu’ils sont très bons. »

Libération – Ève Beauvallet – 28 mars 2023
Lire l’article



« Dans sa nouvelle pièce, Anne Nguyen entend proposer « un voyage initiatique », soufflé par six jeunes danseurs, pour exacerber la beauté vitale [des danses africaines urbaines] tout en soulignant les enjeux postcoloniaux au cœur de cette création. Elle délaisse momentanément le hip-hop et le break pour rendre hommage aux danses africaines urbaines, de plus en plus nombreuses et de plus en plus populaires sur les réseaux sociaux. […] »

Télérama – Rosita Boisseau – 14 mars 2023
Lire l’article



« Figure féminine du hip-hop en France, plébiscitée pour ses pièces réflexives autour de l’art chorégraphique, Anne Nguyen présente sa dernière création […] : Matière(s) première(s).

Après Hip-hop Nakupenda en 2021 qui liait sur scène l’histoire du hip-hop à celle du Congo, la breakeuse Anne Nguyen crée un ballet pour six danseurs afros, et plonge dans l’univers des musiques urbaines africaines. La chorégraphe dévoile sur scène […] des danseurs performant les mécanismes de la colonisation et de la domination culturelle occidentale. Avec cette pièce, Anne Nguyen cherche à mettre en lumière la culture de la danse afro et à questionner l’imaginaire qui l’accompagne, en composant avec des artistes issus de ce mouvement. […] »

La Terrasse – Louise Chevillard – 16 février 2023



Matière(s) première(s) d’Anne Nguyen, hommage brut à la danse afro d’aujourd’hui

« La nouvelle création d’Anne Nguyen porte un regard sur la danse afro d’aujourd’hui, dans une forme d’hommage brut à une matière sans autre prétention que de la rendre visible.

Les danses africaines urbaines, si elles irriguent tout un continent, ont largement dépassé les frontières et se lisent dans les pratiques des danseurs d’aujourd’hui. Le hip hop en porte les traces, qui, de clips en réseaux sociaux, s’alimentent et s’hybrident au fil du temps. Anne Nguyen a voulu retourner aux sources de ce mouvement, ouvrant une fenêtre vers la richesse des styles de danses pratiquées par la jeunesse africaine et leurs musiques hip hop et électro. Et ça commence très fort, tant les six danseuses et danseurs se lancent à corps perdus dans une chorégraphie non stop, fusion de danses urbaines et de danses traditionnelles. En cela, la pièce rejoint le travail entamé précédemment avec Underdogs ou Héraclès sur la tête, où la chorégraphe tire le fil d’une technique, d’une discipline, d’un mouvement culturel et d’une musique, pour en retirer une leçon politique qu’elle tricote en filigrane. Cousue main sur le corps des interprètes virtuoses, à qui elle rend chaque fois un hommage amoureux, sa danse fonctionne dans l’impact direct à l’adresse du spectateur qu’elle colle au mur par la puissance du geste. Cette fois, Anne Nguyen prend le soin de sous-titrer sa pièce « ballet de danses africaines urbaines ». Une approche qui confronte les mondes et questionne plus encore. […] »

La Terrasse – Nathalie Yokel – 29 mars 2023



Matière(s) première(s)” Six personnages en quête de leur vérité

« Leur identité, ils l’ont exaltée par des noms de scène – Barro Dancer, Mademoiselle Do’, Willy Kazzama, Black Woman, Salifus, Grâce Tala –, ces six superbes danseurs (trois filles et trois garçons) portant fièrement, sur eux et en eux, leurs origines africaines. Comme si, pour raconter l’histoire tourmentée de leur continent, ils éprouvaient le besoin de revêtir une dimension dépassant celle de leur propre personne. Et, effectivement, ce que nous montrent ces “personnages” est une traversée fulgurante, un voyage tous azimuts au bout de l’Afrique. Des performances époustouflantes, expressives à l’envi, sous-tendues par des tensions à vif… […]
Porteurs des cultures du Congo, du Cameroun, du Gabon, du Burkina Faso, ou encore de Côte d’Ivoire, et riches de toutes les ethnies que ces différents pays accueillent, ils partagent en commun un goût profond pour les cultures traditionnelles et urbaines africaines qui les font vibrer jusqu’au bout de la nuit. Ce sont eux qui constituent les “matières premières” à haute charge explosive de ces chorégraphies mises en jeu par Anne Nguyen et son assistant, Pascal Luce.

Qu’ils soient seuls, en couples ou ne faisant qu’un bloc, c’est la même détermination qui les anime, une énergie dont le désir à fleur de peau constitue le combustible inflammable. Ainsi de l’ouverture où une danseuse à l’engagement organique apparaît dans un faisceau de lumière tombé des cintres, rejointe bientôt par un danseur, le couple enlacé esquissant alors une figure de slow… avant d’être rejoint par leurs complices enchainant ensemble les rythmes connectés aux musiques afro, rap et soul déferlant sur le plateau. Violences et tendresses, unies dans les mêmes corps, à l’image de ce continent africain, réservoir d’amours contrariées par les appétits coloniaux voyant en ses terres une mine de profits à tombeau ouvert.

Figures des violences post-coloniales héritées et dont leurs mimiques sont les porte-paroles, tout comme leurs corps traversés par des convulsions irrépressibles. Ainsi du tableau saisissant de vérité brute, où, groupés en cercle, on les voit se briser l’échine pour extraire le minerai qui profitera à d’autres qu’eux. Figures des désirs revendiqués qui éclairent les visages paysages de la vie plus forte que ce qui pourrait avoir encore la prétention de les enchainer. Des battles dont ils sortent vainqueurs, même épuisés, grâce à leur force créative que rien ni personne ne semble pouvoir endiguer. […] »

Vu le mardi 28 novembre 2023 à la Manufacture CDCN de Bordeaux, lors de son unique représentation.
Larevueduspectacle.fr – Yves Kafka – 5 décembre 2023



Matière(s) première(s) en première Allemande

« […] Six danseur.ses, trois hommes et trois femmes, nous propulsent dans une danse urbaine et traditionnelle, sensuelle et intemporelle, aux racines diverses et variées, mais où les corps se retrouvent à l’unisson […].

Au centre de la scène, le corps d’une danseuse (magnétique Grâce Tala) apparaît. Ses fascinants mouvements se crispent, laissant transpirer autant de beauté que de brutalité, tout en accord et désaccord avec la chanson américaine qui la porte… Elle sera très vite vite rejointe par toute la troupe explosive de Matière(s) première(s) : Ted Barro Boumba alias « Barro Dancer », Dominique Elenga alias « Mademoiselle Do’ », Mark-Wilfried Kouadio alias « Willy Kazzama », Jeanne D’Arc Niando alias « Esther » et Seïbany Salif Traore alias « Salifus ». Un voyage éclectique qui mélange hip-hop, dancehall, afro house, popping, krump, afro jazzé, etc. pour porter aux nues cet amour commun, profond et ancestral pour la danse.

Loin des battles devenus « assez élitistes et gentrifiées », Anne Nguyen a fait des allers-retours au Congo, pour croiser notamment Faustin Linyekula, et donner des stages de break au Bénin, pour des actions solidaires. Elle en a ramené la volonté de transmettre et de questionner les héritages, tout en sublimant le sens d’un geste.

[…] La faiblesse occidentale, c’est d’avoir abandonné sa danse traditionnelle au profit d’une danse urbaine grandement influencée par les États-Unis. L’Afrique a su cultiver sa danse afro, frénétique, ancrée dans des racines multiculturelles à la fois traditionnelles et urbaines. Un langage primordial du corps, une nécessité engagée, viscérale. Une sorte de rituel scénarisé se met en place, mêlant amour, sexe, violence, mort, fric, pression… Chaque interprète nous raconte son existence, entre impros et contraintes. Car selon Nguyen, « il n’y a pas d’improvisation sans contrainte, pas de liberté sans contrainte. Si on ne se base que sur l’improvisation dans sa danse ou dans son art, sans patrimoine, sans héritage, sans quelque chose qui nous dépasse et dont on est dépositaire, on finit par tendre vers le rien. Au fur et à mesure qu’on improvise on finit par ne plus savoir quoi faire ».

Le mouvement se danse, le geste se mime : on utilise les écrans à outrance puis on est pointé par une arme à feu. Les lignes se décomposent et se recomposent, les corps s’enlacent et s’entrechoquent, nourrissant perpétuellement l’espace. Les solos transpercent par leur justesse, surtout celui du charismatique Ted Barro Boumba ! On zappe de musique en danse, ça s’enchaîne furieusement, à corps perdus […]. »

CCCDanse – Léa Chalmont – 7 juin 2023